EXTRAITS DES DEBATS DE LA SEANCE DU 23/10/2000
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2000-5830 - Restitution du tableau de Ghislandi intitulé portrait d'un jeune sculpteur aux héritiers de M. Frederico Gentili di Giuseppe - Musée des Beaux-Arts (Direction des Affaires Culturelles - Patrimoine) (BMO du 15/10/2000, p. 1821)
M. CHANON Jean-Marie, rapporteur : Monsieur le Maire, je voudrais parler au Conseil municipal d'un dossier qui me semble tout à fait exemplaire.
Le 20 avril 1940 est mort à Paris Frederico Gentili di Giuseppe, Juif venu d'Italie et résidant en France avec l'ensemble de sa famille. Il laissait deux enfants qui, en juin 1940, durent quitter leur domicile parisien pour échapper aux graves menaces pesant sur eux. Et, pendant leur absence et sans que la famille en soit, bien entendu, informée, un administrateur judiciaire a été désigné par le Tribunal de Grande Instance de Paris, pour gérer la succession de leur père.
En 1941, quelques mois plus tard, une deuxième décision va autoriser l'Administrateur judiciaire à vendre les meubles de cette famille et, plus particulièrement, une collection de tableaux. C'est ainsi que Me Rheims, Commissaire priseur bien connu, a vendu en 1941 aux enchères publiques, à une galerie dénommée Heim à Paris, une toile de Vittorio Ghislandi, "Portrait d'un jeune sculpteur". Ghislandi est un peintre italien important du XVIIe siècle.
En 1958, ce tableau qui appartenait, par conséquent, à la Galerie Heim, a été vendu à la Ville de Lyon pour le prix de 2.700.000 F : il s'agissait, bien entendu, d'anciens francs. Ce tableau est actuellement au Musée Saint-Pierre. Je l'ai vu la semaine dernière, avec d'autres élus ; c'est vraiment un tableau de très grande qualité et c'est aussi l'avis des experts et des conservateurs de Paris et de Lyon qui l'ont examiné.
Aujourd'hui, ce tableau fait l'objet d'une revendication de la part de la famille di Giuseppe et nous avons, avec l'administration de cette Ville, fait un examen attentif de ce dossier du point de vue juridique. La question est de savoir si la Ville, incontestablement possesseur de bonne foi, doit restituer ou non ce tableau ? Personnellement, je considère qu'il doit être répondu favorablement à cette demande et nous pensons que doit être appliquée, sans aucune réserve, une disposition d'une ordonnance de 1945 que j'aimerais lire au Conseil municipal, car elle nous permet de faire un retour sur l'histoire de notre pays à ce moment-là. C'est l'article premier de cette ordonnance qui mérite lecture et examen.
"Les personnes physiques ou morales ou leurs ayants-cause, dont les biens, droits ou intérêts, ont été l'objet, même avec leur concours matériel, d'actes, de dispositions, accomplis en conséquence de mesures de séquestre, d'administration provisoire" -c'est notre cas- "de gestion de liquidation" -c'est encore notre cas-" de confiscation, de toute autre mesure exorbitante de droit commun, en vigueur au 10 juin 1940 et accomplies, soit en vertu des prétendus lois, décrets et arrêtés, règlements ou décisions de l'autorité de fait se disant Gouvernement de l'Etat français, soit par l'ennemi sur son ordre ou son inspiration, pourront (sur le fondement d'un certain nombre de dispositions) en faire constater la nullité" et l'article dit ceci dans sa disposition finale : "cette nullité est une nullité de droit" ; et ce qui est intéressant aussi c'est de citer les premières lignes de l'article 4 de la même ordonnance qui est une dérogation au principe que les juristes connaissent bien, "article 4 : l'acquéreur ou les acquéreurs successifs sont considérés comme possesseurs de mauvaise foi au regard du propriétaire dépossédé".
Alors, Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs, voilà, selon moi, le texte qui doit être appliqué. Il l'a déjà été, par une juridiction française, puisque dans un arrêt rendu, je crois, au mois de juin 1999, la Cour d'appel de Paris a ordonné au Louvre, la restitution d'un certain nombre de tableaux rachetés, par ce Musée, dans des conditions similaires, à la même famille. Et à l'occasion de l'examen attentif de ce dossier, toujours avec l'administration de cette ville, nous nous sommes aperçus que le 8 novembre 1999, le Musée de Berlin avait restitué, à la même famille, un tableau très important de Tiepolo.
Alors, je n'en dirai pas plus. Je crois que, compte tenu des termes extrêmement précis de cette ordonnance de 1945, compte tenu de la jurisprudence favorable pour cette famille, émanant de la Cour d'appel de Paris, compte tenu aussi de la décision prise par le Louvre et aussi de celle prise par le Musée de Berlin et pour des raisons, je dirai, d'ordre moral, il me semble absolument nécessaire et urgent de faire droit à la demande formulée par cette famille.
Dernier mot : si la Ville de Lyon est selon le droit, "possessseur de mauvaise foi", elle est en fait, possesseur de bonne foi et il y a une disposition particulière de l'ordonnance de 1945 qui permet à la Ville d'obtenir, malgré tout, une indemnisation. Monsieur le Maire, si vous en êtes d'accord, nous allons travailler sur ce deuxième aspect des choses avec des experts, des juristes pour que le Musée, par conséquent, la Ville, puisse obtenir, peut-être, une indemnisation, dans la mesure où je le répète, elle est en possession d'un tableau qu'elle a acquis dans des conditions tout à fait régulières et normales. Ce qui est mis en cause, c'est, bien entendu, la vente aux enchères publiques intervenue par l'intermédiaire de Me Rheims en 1941, mais cette nullité, bien entendu, provoque la nullité de tous les actes subséquents.
Voilà, Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaitais vous dire en ce qui concerne ce dossier extrêmement important à tous égards.
M. LE MAIRE : Je vous remercie Maître Chanon de l'attention que vous avez apportée à ce dossier et de la solution que vous nous proposez. Je crois qu'en votant ce rapport, le Conseil municipal s'honorera.
Je mets aux voix les conclusions de mon rapport. Il n'y a pas d'opposition ? Elles sont adoptées.